IRIS
«Iris!»
Le ton est monté. On me crie dessus. L’odeur des lys. Je reste figée. Des souvenirs reviennent. Des vrais. Il n’y a plus âmes qui vivent ici depuis 18 ans.
Quand je me suis retournée pour faire face à Gérald, j’ai eu l’effroi de constater qu’il s’agissait de son connard de frère.
En même temps, je n’ai pas fait preuve de jugeote. Gérald est capable de bien des choses mais certainement pas de se téléporter. Si je panique, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Je ne sais pas pourquoi je tenais tant à remettre les pieds ici, mais il est clair que ce n’est pas une bonne idée.
Denis me scrute en plissant les yeux, il ne dit rien.
«Tu veux ma photo?»
«Oh commence pas hein! Je ne fais que rendre service. Désolé si je t’ai fait peur, c’était pas le but. Gérald m’a appelé pour...»
«Pour que je fasse marche arrière, évidemment!»
«Ouais...»
Il se racle la gorge et paraît mal à l’aise. Qu’est-ce qu’il cache encore? Pourtant et étrangement, Denis ne me fait plus peur. Pas même ici, seule avec lui en pleine nuit.
«...Iris, je ne savais pas si une telle occasion se présenterait.» Je m’apprête à lui couper la parole. Je n’ai aucune envie de l’entendre me jouer la sérénade. Son ton mielleux me dégoûte. Mais il lève les mains en signe de paix et ne me donne pas le temps de l’envoyer chier.
«Laisse moi terminer s’il te plaît. Je ne savais pas si l’occasion se présenterait un jour. Je veux dire, me retrouver seul avec toi de nouveau… Quand Gérald m’a appelé pour venir te chercher et te mettre à l’abri, j’ai accepté uniquement pour cette raison. Putain, je me sens con, j’ai pas l’habitude , je sais pas trop comment m’y prendre. Hum Iris, je me suis vraiment mal comporté avec toi, j’ai profité de la situation, je t’ai frappé… Alors euh… Je te présente mes plus sincères excuses. Je sais qu’elles ne valent pas grand-chose voir rien du tout mais j’y tenais et sans Gérald. Parce que c’est pas lui qui me met la pression pour le faire ou m’y oblige. Ça vient de moi. J’ai été un et je suis toujours une merde, je ne changerai sûrement jamais mais je voulais te tout ça. Voilà. T’as le droit de m’en coller un bon si tu veux, c’est mérité.»
Je l’écoute et je suis sur le cul. Il est vraiment sincère le con. Ça le rend même presque sympa. Il y a donc encore une once d’humanité en lui.
J’accepte de le suivre et renonce à m’enfoncer plus loin derrière l’immense portail. Je ne me sens pas prête. Gérald avait ENCORE raison. Je soupire lourdement de frustration. Des bribes de mémoire sont revenues et j’aurais aimé en découvrir un peu plus.
Denis semble comprendre et me propose d’y aller avec lui. Il se prendra une soufflante par son frère mais il y est habitué et au moins je n’y serais pas seule. Je m’étonne toute seule de ne plus ressentir de rancœur ou de haine envers lui et je monte dans sa voiture pour parcourir le long chemin qui mène à ma maison.
Je regarde par la fenêtre. Je ne vois pas grand-chose mais cette situation est comme familière pour moi.
«Denis, on était voisin à l’époque, c’est ça?»
«Oui, tu t’en souviens?»
Il me répond ça d’un ton inquiet. Il est crispé. Il doit déjà craindre les représailles de Gérald à mon avis.
«Non, je ne m’en souviens pas. Je ne me souviens de rien.» Ma réponse semble le soulager. Étrange.
Je continue: «On a déjà fait ça?»
«Fait quoi?»
Denis est carrément à fleur de peau là. Qu’est-ce qu’il a?
«Ce trajet en voiture. Tu pensais à quoi d’autre franchement!»
Il ne répond pas mais se détend de nouveau. A quoi pouvait-il penser quand je lui ai posé cette question… Je suis sortie de mes pensées quand la voiture se gare sous un porche donnant directement sur le jardin et sa grande fontaine recouverte de lierre, de ronces et plein d’autres mauvaises herbes. Je ferme les yeux et j’essaye de me souvenir à quoi cet endroit ressemblait avant. Je respire l’odeur des fleurs à plein poumons. Les lys… Je déteste l’odeur des lys. J’ouvre les yeux et je cherche où ces maudites fleurs se cachent. J’ai une envie folle de les arracher. Je crois me souvenir où les trouver. Je sors de sous le porche et j’aperçois aussitôt sur le côté des petites marches.
Oui, je me souviens. En haut de ces marches, il y a un gigantesque parterre de fleurs. Des roses, du lilas, du chèvrefeuille, des lys, beaucoup de lys…
Denis me supplie de ne pas aller par là. S’il me supplie de ne pas y aller, c’est que je vais exactement là où je dois me rendre.
J’y suis enfin. Le parterre de fleurs où personne ne pourra nous voir. C’est comme ça qu’il l’appelait.
Denis m’a rejoint.
«Ça va?»
Je me tourne vers lui, les yeux exorbités, le cœur qui bat à 200. Poussée par l’adrénaline, je lui saute dessus. Il s’écrase dans les rosiers, les orties et les ronces. Ça fait mal hein! Bien fait pour ta gueule! Et c’est rien comparé à ce que tu m’as fait.
Je lui crie: «Le parterre où personne ne nous voit hein! C’est bien ce que tu m’avais dit ce jour là! Je t’ai supplié d’arrêter mais t’as continué et t’as bousillé ma vie fils de pute!!!»
Je le cogne encore et encore jusqu’à ne plus l’entendre respirer. J’arrache les lys et tout ce qui me passe par la main et le lui jette à la figure puis je lui crache dessus.
Je me souviens. Je me souviens de tout! Je fais demi-tour en le laissant à son sort. J’en ai rien à foutre, il peut crever. Je me retrouve dans le jardin, à bout de souffle. Quand je tourne de nouveau la tête en entendant du bruit, c’est pour apercevoir Gérald, à bout de souffle lui aussi.
L’adrénaline et mon accès de rage s’évaporent, je me sens vide. J’ai à peine la force de souffler à Gérald être certaine que Denis m’a fait du mal autrefois.