Je dois faire quelque chose. Elle ne doit pas s’aventurer dans cette maison où sa vie s’est arrêtée. Je dois faire quelque chose.

Cette phrase résonne dans ma tête. Déjà gamin, je me la disais tous les jours. Tous les jours je voyais Iris au collège jusqu’au jour où on ne l’y a plus jamais vu.

Cette maudite baraque. J’attendais le soir et je me faisais la belle pour entrer dans leur jardin sans être vu et sans que mes parents me choppent. Je voyais les ombres à travers les stores, j’entendais ses cris, ses pleurs. Ce sont des choses que je n’oublierai jamais.

J’ai averti le collège: «Ne vous en mêlez pas!». J’ai averti mes parents: «Ne t’en mêles pas!» J’ai appelé la police pour dire que mes voisins tabassaient leur fille tous les jours et qu’ils l’empêchaient d’aller en cours. Ils m’ont demandé l’adresse, je leur ai donné, ils ont raccroché, ils ne sont jamais venus et j’ai pris une sacré raclé par mon père pendant que mon abruti de frère se marrait. Ma petite sœur était trop jeune pour comprendre. J’étais aussi trop jeune pour comprendre je crois. Mais maintenant je sais pourquoi mes vieux ne la laissait jamais sortir et lui dispensait l’école à domicile. Je ne compte plus le nombre de personnes étonnées d’apprendre que j’ai une petite sœur, c’est dire… Personne ne voulait s’en mêler. Tout le monde craignait des représailles.

Aujourd’hui, ces souvenirs continuent à hanter notre ville. Les habitants tiennent Iris pour responsable de la terreur dans laquelle ils vivaient eux aussi et même s’il n’y a plus rien à craindre. Ils se trompent de coupable et le savent très bien mais il est plus facile de diriger sa colère contre une personne plus vulnérable.

Je dois faire quelque chose, empêcher Iris d’arriver là bas. Je ne veux pas qu’elle rempile pour 18 ans supplémentaires. Encore moins maintenant, après ce qu’il s’est passé entre nous. J’éloigne rapidement cette pensée égoïste. Il m’est impossible de la rattraper et elle a ma voiture. Je dois me résoudre à appeler mon frère et lui demander d’intervenir. Cette idée me glace le sang mais je n’ai pas d’autre option. Il habite à côté. Comment parvient-il à continuer à vivre à coté de cette maison? Psychopathe!

Les rumeurs ébruitaient pas mal de choses à l’époque mais je ne voulais pas croire que mon frère, aussi con soit-il pouvait être complice de toute cette merde. Je me battais sans arrêt contre ceux qui essayaient de le salir. J’aurais du les laisser faire. Je sais maintenant que mon frère méritait ses passages à tabac. Si seulement j’en avais pris conscience plus tôt…

Je continue à repenser à tout ça. Je n’avais jamais réalisé que d’autres se souciaient du sort d’Iris et de sa sœur. C’est pourtant évident. Personne n’aurait cherché à lui mettre sur la gueule sinon. Comment j’ai pu passer à côté de ça? Mais plus que tout, je suis sûr de pouvoir retrouver ces jeunes de l'époque et que ça aidera Iris.

Je reprends mon portable et appelle mon frère. «Quoi?» 

«Toujours aussi aimable. J’ai besoin d’un service. Tu me demanderas ce que tu veux en échange.»

«La vache! Toi, Gérald, tu me demandes un service contre n’importe quoi? J’en reviens pas. Jour de gloire!!!»

«Sale con! Speede toi, Iris est partie avec ma caisse et ne devrait pas tarder à arriver chez tes anciens voisins. Empêche la de passer les grilles. Elle ne doit pas y aller.»

«Eh ben putain, elle t’a sucé la bite à toi aussi pour que t’en arriver à me demander ça?» Il ricane, il jubile et il l’a mauvaise en même temps.

Sale con!

«Gérald, si tu me dis pourquoi, j’irais.»

Quoi? Il accepte de me rendre service à cette seule condition?

«Elle ne se souvient de rien. Dans sa tête, elle est ancienne star du X...»

Il m’interrompt. «Ah mais elle pourrait. La baiser ça a toujours été quelque chose. Elle a du talent. Si elle veut j’ai des contacts…»

«Arrête ça tout de suite Denis. Sale con!»

«Mais attends… Comment elle peut avoir ta caisse? C’est toi qui la planque? Putain, c’est toi qui la planque et tu la baises. Saint Gérald baise la pauvre petite Iris. Tu vaux pas mieux que moi en fait. C’est bon j’y vais.»

Il me raccroche au nez. J’enrage. Enfoiré. Je dois absolument arriver là bas au plus vite. Dieu seul sait ce qu’il est capable de lui faire et pour couronner le tout, il a presque tout pigé. Je ne la baise pas, non! Je l’ai toujours aimé. Et il est préférable qu’il ne le sache pas. Je ne sais pas comment je vais convaincre Iris, mais on va devoir partir quelques temps.

Pourvu que Denis ait un sursaut de conscience et ne profite pas de cette situation catastrophique. Je sais qu’il en est capable. Il a feint ne pas la connaître pendant son simulacre d’entretien d’embauche où il s’est mis en scène délibérément pour qu’Iris le surprenne en train de se branler, puis il l’a suivi dans le bar où elle est allée. Il savait très bien qu’il parviendrait à ses fins. Rien que l’idée qu’il ait posé les mains sur ma Iris me donne la nausée. Je ne me fais plus d’illusions… Si je ne me dépêche pas, il n’aura pas d’état d’âme envers elle, pas de sursaut. Juste un fils de pute! Merde! Pardon maman, évidemment que je ne pense pas ça de toi. Je demande au chauffeur de taxi qui me conduit jusqu’à elle d’accélérer mais il refuse. Il tient à sa licence et à ses points. Logique, mais je m’en bats les couilles là.

Si j’ai appris quelque chose, c’est que l’argent achète bien des choses, même les scrupules. Et même si ça me dégoûte, je sors mon porte feuille, je signe un chèque sans montant et le tend au chauffeur en lui disant qu’il mettra la somme qu’il veut dessus. Bingo… L’argent peut vraiment presque tout acheter et je soupire, résigné. C’est à cause de l’argent qu’Iris en est là aujourd’hui.

Le chauffeur me dépose enfin à destination. Quand il réalise où il se trouve, il me rend mon chèque et part en trombe, terrorisé. Merde! Y a pas une seule personne qui ne soit pas terrorisée par cet endroit.

Je regarde autour de moi, il n’y a personne. Je sprinte chez mon frère, personne non plus. Je suis essoufflé, angoissé. Je tends l’oreille à l’affût du moindre craquement de branche. Où est-ce que ce salopard a emmené Iris? Si jamais… Il va le payer très cher. Je me mets à hurler leurs prénoms, désespéré. Aucune réponse. Ils ne peuvent être qu’à un seul endroit. Je passe le portail déjà ouvert et je sprinte de nouveau.

L’allée est interminable comme dans mes souvenirs. Je suis à bout de souffle quand je l’aperçois enfin, seule dans le jardin. Elle est figée, le regard dans le vide et des larmes coulent sur ses joues. Puis je remarque les blessures sur son visage, autour de son cou, ses cheveux défaits, sa bouche et ses mains en sang… Elle tourne la tête vers moi. Nos regards se fixent. Je peux y lire qu’elle me fait toujours confiance. Ça me brise le cœur.

«Gérald. Je crois que ton frère m’a fait du mal». Sa voix est à peine audible. Je la prends dans mes bras avec toute la délicatesse du monde.

T’es un homme mort Denis!