Iris

 

J’ai passé le reste de la nuit et une bonne partie de la matinée à faire l’amour avec Gérald. Je ne peux plus nier qu’il a quelque chose de différent des autres et qui me bloque à aller me rassasier de ma soif de sexe permanente ailleurs.

Après ma confrontation avec Denis, ou plutôt la raclée que j’ai eu plaisir à lui foutre, j’ai enfin compris mon mécanisme. Cette soif de sexe, mon choix d’être actrice porno… Tout ça, c’est à cause de ce que Denis m’a fait quand j’étais ado. J’ai réalisé que je ne voulais plus jamais subir mais choisir, me servir, avoir le pouvoir. Guérir le mal par le mal en quelque sorte.

Mais je suis contrariée. J’ai l’impression de ne plus l’avoir ce pouvoir depuis que je vis chez Gérald. Est-ce que je vis chez lui ou avec lui? On fonctionne presque comme un couple et cette idée me donne la nausée. Je ne veux pas de ça. Aussi différent soit-il. Mais est-il tellement différent ?

Il n’a pas eu l’air surpris d’apprendre ce que Denis m’a fait pour commencer et j’ai remarqué la distance qu’il a installé entre nous quand il a vu dans quel état j’ai laissé son frère. Comme si je lui faisais peur. Heureusement qu’il a la même soif de sexe que moi, sans quoi on n’aurait rien à se dire.

Je continue à me perdre dans cette merde de pensées, accoudée à la fenêtre de chambre de Gérald, fumant clope sur clope. Je regarde la rue en contrebas. J’aurais préféré tendre mon visage vers le ciel mais le soleil est éblouissant et projette ses lumières dorées partout.

Finalement, je suis dans la bonne posture, avachie, pathétique. Je crois qu’il est temps de l’avoir cette discussion. Discussion que j’ai refusé d’avoir la veille encore.

 

Gérald dort encore, les draps complètement défaits, laissant apparaître son corps nu… et son érection matinale. Ma résolution de discuter avec lui s’évanouit aussitôt, consumée par le désir de le sentir encore en moi.

Je m’approche du lit et tire lentement les draps pour le découvrir un peu plus et empoigner son sexe, bien décidée à le réveiller de la plus délicieuse des façons.

Mais il ne m’en laisse pas l’occasion. Il se réveille brusquement, saisit ma main et la repousse.

Je ne parvient pas à déchiffrer son regard. Est-ce qu’il m’en veut ? Est-ce qu’il s’en veut ?

Bon… Je crois que c’est le moment. J’avais imaginé avoir cette discussion après un petit déjeuner et une bonne douche mais peu importe, nus c’est très bien. C’est même mieux en fait. Oui, c’est mieux, une mise à nu.

« Gérald, j’aimerais qu’on parle. »

« Tu es enfin décidée ! »

Il me répond sur un ton doux, bienveillant. Je peux de nouveau déchiffrer son regard. J’y vois une grande tristesse, de la fatigue aussi, une fatigue mentale. Je ne vois pas de peur en revanche et ça me soulage. Ça me soulage et m’encourage en même temps.

« Tu étais au courant de ce que ton frère m’a fait, pas vrai ? »

« Qui ne l’est pas ? Oui je suis au courant. Je le sais du jour où il s’en ait vanté auprès de moi. Le jour même où il t’a fait subir tout ça. »

J’encaisse l’aveu de Gérald. Ca me fait mal d’entendre qu’il sait tout depuis le premier jour où on a foutu ma vie en l’air.

« Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Pourquoi t’en as jamais parlé ? Est-ce que t'en as parler avec quelqu’un au moins ? »

Je ne veux pas pleurer mais mes yeux me brûlent. Je retourne à la fenêtre de la chambre, nue, sans aucune pudeur, j’allume une clope et je reste le dos tourné à Gérald. Je ne veux surtout pas qu’il m’approche à ce moment là.

« Iris… Tu vis avec moi depuis plusieurs mois, tu me connais un peu je suppose. Tu connais déjà la réponse mais je vais te la formuler. J’ai tout essayé à l’époque mais personne ne m’écoutait. Personne ne voulait m’écouter pour être exact. Pourquoi je déteste mon abruti de frère d’après toi ? Et pourquoi je cherche par tous les moyens à t’aider ? »

Gérald a raison, je connaissais déjà la réponse. Je sais qu’il ne me ment pas. Il hait son frère.

« Je n’ai pas besoin de ton aide Gérald. Je suis une grande fille. Je sais me gérer seule. Si tu fais ça uniquement pour te racheter d’une culpabilité que tu ne devrais pas avoir, tu perds ton temps. Je n’ai pas besoin qu’on m’aide. Je veux être libre. Tu comprends ? »

Je suis en train de m‘emporter. Je sais que mes mots vont très vite dépasser ma pensée et me montrer cassante.

« Je sais que tu es une grande fille indépendante et forte. Tu l’as encore prouvé hier. Il a eu ce qu’il méritait et j’avoue t’avoir sous-estimé sur ta capacité à te battre. La seule aide que je veux t’apporter concerne ton amnésie ou ton déni, au choix. Et si je ne t’ai jamais parlé de Denis, c’est parce que tes souvenirs doivent refaire surface d’eux-mêmes. Tout te dire ne fera que t’enfoncer dans ce que tu penses être réel sur tes 18 années perdues. Tu dois continuer à te battre et je veux être là pour t’épauler. »

Il a raison. J’ai ces flash-back où je me vois dézinguer ma famille. Je ne sais pas démêler le vrai du faux. Je ne me souviens même pas que Gérald était un ami d’enfance. Je me résigne et j’accepte.

Tout en continuant à lui tourner le dos, je hoche la tête.

« D’accord. Deal. Mais concrètement, comment on fait ? »

« Parles moi de tes cauchemars , de tes flash-back, je te dirais simplement si c’est vrai ou faux. Tu me fais confiance ? »

Je hoche la tête de nouveau. Oui, j’ai confiance en lui. On était amis gamins et rien n’a changé pour lui. On est toujours amis. Je dois m’ouvrir et me confier à lui comme une amie le ferait. C’est un bon début et je me sens mieux. Cette discussion a enfin eu lieu et j’ai le sentiment que je vais enfin pouvoir avancer.

Je me tourne vers Gérald et lui souris.

« Merci mon ami. »

« Mon ami… Iris… »

« Quoi ? »

« Tu ne ressens rien de plus que ça pour moi alors ? »

Je ne sais pas trop comment interpréter cette dernière phrase. On couche ensemble après tout, j’éprouve beaucoup d’attirance pour lui.

« Tu as raison, je ne ressens pas que de l’amitié pour toi. J’éprouve aussi beaucoup de désir. T’es pas mal, j’avoue. »

Je lui lance un regard lourd de sous entendus et m’avance vers lui. Mais je vois son regard changer et sans avoir le temps de lui demander ce qui ne va pas, Gérald a quitté la chambre sans dire un mot.

J’ai cru apercevoir des larmes dans ses yeux. Il doit sûrement se sentir soulagé lui aussi et l’émotion aura été trop forte ?

Fait chier n’empêche, il aurait pu assouvir un peu de mon désir avant de se barrer comme ça.